INFILTRATIONS
EPIDURALES ET/OU FORAMINALES SOUS GUIDAGE SCANNER : TECHNIQUE ET RESULTATS
EPIDURALES ET/OU FORAMINALES SOUS GUIDAGE SCANNER : TECHNIQUE ET RESULTATS
Les injections intrarachidiennes de corticoïdes, dans la prise en charge des lomboradiculalgies mécaniques chroniques représentent une des interventions les plus courantes dans les pays industrialisés (1). Elles font maintenant partie intégrante de l’arsenal thérapeutique dont dispose le clinicien.
Les injections intrarachidiennes de corticoïdes, dans la prise en charge des lomboradiculalgies mécaniques chroniques représentent une des interventions les plus courantes dans les pays industrialisés (1). Elles font maintenant partie intégrante de l’arsenal thérapeutique dont dispose le clinicien. Rien qu’aux Etats-Unis, le nombre de procédures effectuées par an a augmenté de 802 735 en 1998 à 1 776 153 en 2005, soit une augmentation de 121% en 7 ans (2). Cependant, leur efficacité reste controversée selon les différentes études publiées, la voie d’abord et la technique utilisées étant très hétérogènes et dépendant des habitudes de chacun. Leur bien-fondé a ainsi été récemment remis en question en France, suite à la survenue d’une série de complications sévères (3) survenant principalement chez des patients préalablement opérés du rachis lombaire.
Plusieurs voies d’abord sont possibles, guidées ou non par l’imagerie : épidurale postérieure (interlamaire ou inter épineuse), transforaminale, et caudale.
Les voies interlamaire et transforaminale sont les plus largement utilisées, surtout depuis l’utilisation du guidage scopique et tomodensitométrique. Les études qui ont comparé l’efficacité de ces deux techniques ont prouvé un avantage sensible de la voie transforaminale à court-terme, sous contrôle scopique. Cependant en terme de risque de survenue de complication grave, c’est la voie épidurale qui apparaît la plus sûre.
Le scanner s’est révélé très utile ces dernières années dans le guidage des infiltrations, comparativement à la scopie, en terme à la fois d’efficacité, en permettant de délivrer le produit actif au plus près du conflit responsable de la lomboradiculalgie et à la fois en terme de sécurité, en permettant de garder une distance maitrisable entre l’aiguille d’injection et les structures « nobles » devant être évitées (racines nerveuses, artères et veines). Cette modalité permet aussi et surtout une « traçabilité » du geste, ainsi qu’un contrôle de la diffusion du produit de contraste. Le but de cet article est d’exposer la technique d’infiltration sous guidage scanner des conflits disco-radiculaires lombaires.
La prévalence des dorsopathies, c’est-à-dire l’ensemble des douleurs et affections du dos, est estimée à 10,17% dans l’ensemble de la population française, d’après la dernière étude décennale de l’IRDES publiée en 2007 (4). Ces chiffres varient peu avec les années : une étude réalisée en 1983 rapportait une incidence annuelle dans la population générale variant entre 5 et 10% et diminuant avec l’âge, les nouveaux cas atteignant surtout la population des 20-30 ans (5). Une étude américaine objectivait, quant à elle, 7.6% d’individus majeurs présentant durant l’année 1991 au moins un épisode lombalgique aigu (6).
Les infiltrations péri-radiculaires ont été utilisées comme test diagnostique, pour confirmer le niveau pathologique responsable d’une radiculalgie, dès 1971 (7). Avec les progrès de l’IRM et du scanner, les indications d’infiltration radiculaire en tant qu’outil diagnostique se sont raréfiées. L’utilité thérapeutique de cette procédure radioguidée a été décrite pour la première fois par Tajima et al (8) en 1980. Depuis, multiples études ont prouvé que l’infiltration péri-radiculaire de corticostéroïdes peut améliorer le soulagement de la douleur secondaire à un conflit radiculaire.
Le but de ces infiltrations est de délivrer in situ, au plus près du conflit, une forte concentration de produit actif, supérieure à celle qui pourrait être atteinte si le dérivé cortisoné était administré per os, et au prix d’un faible passage systémique.
L’utilisation péri radiculaire des corticostéroïdes repose sur 4 mécanismes d’action présumés :
Indications, contre-indications.
L’indication retenue par la majorité des auteurs (46) est la lomboradiculalgie causée par une hernie discale ou des remaniements dégénératifs vertébraux, réfractaire au traitement médical bien conduit pendant au moins 6 semaines.
Les contre-indications comprennent les troubles de la coagulation, l’antécédent d’allergie aux produits utilisés, la lomboradiculalgie déficitaire avec force musculaire cotée à moins de 4/5, et les contre-indications au traitement par corticostéroïdes.
Précautions avant le geste
Le patient doit avoir bénéficié d’une imagerie récente (scanner ou IRM) permettant d’authentifier le conflit radiculaire mécanique, et d’éliminer un diagnostic différentiel.
Il est également obligatoire de disposer d’un bilan de coagulation récent du patient, les conditions requises étant :
– plaquettes > 50 000/mm3
– TP > 60%
– TCA < 1.5 fois le témoin.Un éventuel traitement par antiagrégants plaquettaires doit être arrêté 8 jours avant le geste, un traitement substitutif par flurbiprofène à arrêter la veille de l’intervention peut être proposé chez les patients à haut risque vasculaire chez lesquels les antiagrégants ne peuvent être interrompus. Un traitement par anticoagulants oraux (AVK) doit également être relayé au moins 3 jours avant le geste par l’injection d’héparine de bas poids moléculaire (HBPM), avec un contrôle du TP effectué le matin avant le geste.
Ces précautions visent à diminuer le risque de survenue d’une complication majeure des infiltrations : l’hématome péridural ou péri-radiculaire.Technique
• Les dérivés cortisonés
En France, seules deux suspensions disposent d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans les injections rachidiennes épidurales en traitement des radiculalgies : l’acétate de prednisolone (Hydrocortancyl®) et le cortivazol (Altim®). Seul l’acétate de prednisolone possède l’AMM pour les injections intra durales directes en cas de radiculalgies résistantes aux injections épidurales, technique non utilisée en routine clinique à notre connaissance. Le cortivazol présenterait des risques de méningite chimique, ou thrombo-phlébite en cas d’injection intra-thécale, complications non décrites dans la littérature.• Voie d’abord
Différentes voies d’abord sont utilisées en fonction des habitudes de chaque équipe, et de la topographie axiale du conflit, sans consensus établi.Infiltration épidurale par voie interlamaire.
Cette approche vise l’espace épidural latéral homolatéral au conflit. Elle est préférée par certaines équipes pour le traitement de conflits postéro-latéraux car l’aiguille peut être dirigée à proximité du conflit, en rasant le massif articulaire postérieur. Elle peut être effectuée « à l’aveugle » en s’aidant des simples repères anatomiques, sous scopie, ou au mieux sous contrôle scanner. L’opérateur effectue la ponction à l’aide d’une seringue contenant du produit de contraste iodé non neurotoxique ou un anesthésique local montée sur l’aiguille de ponction. L’aiguille est avancée doucement jusqu’à ressentir une perte de résistance brutale lors du passage du ligament jaune, signifiant sa position intra-épidurale. L’injection de quelques ml de produit de contraste permet de vérifier l’absence de ponction durale et la diffusion du produit de contraste du côté du conflit. Si le contraste opaque se dirige préférentiellement vers le côté opposé, l’aiguille peut être repositionnée notamment plus en profondeur.
Lorsque la ponction est effectuée à l’aveugle, elle est effectuée par voie inter-épineuse, et ne peut donc pas viser précisément l’espace épidural homolatéral au conflit.Infiltration par voie Transforaminale
Le rationnel de cette technique est d’injecter le dérivé cortisoné au contact même de la racine nerveuse irritée, en essayant d’éviter (contrairement aux infiltrations épidurales) une diffusion au contact d’autres racines nerveuses sus et sous-jacentes et donc une dilution. C’est l’abord qui nécessite le plus petit volume de principe actif pour atteindre le site pathologique.
Elle est obligatoirement réalisée sous guidage de l’imagerie, qu’il s’agisse de la scopie ou du scanner. La ponction s’effectue en visant la partie la plus latérale et inférieure du foramen, en rasant le massif zygapophysaire. Là encore l’injection de produit de contraste permet de vérifier sa bonne diffusion autour du ganglion spinal et même au sein de l’espace épidural latéral .
Plus d’une dizaine de publications ont prouvé son efficacité (47-51). Thomas et al (52) ont montré une meilleur efficacité de cette voie d’abord sous contrôle scopique à court-terme, par rapport à l’abord inter épineux réalisé à l’aveugle. L’étude de Kolsi et al (53) comparant les deux voies d’abord réalisées sous contrôle scopique sur 30 patients, n’a retrouvé aucune différence significative d’efficacité entre les deux groupes.
Procédure
• Installation du patient
L’intervention est réalisée dans la salle de scanner interventionnel.
L’ensemble du personnel de radiologie interventionnelle est vêtu de tenue de bloc, masque chirurgical, charlotte et chaussons à usage unique, tablier de protection et protège-thyroïde en plomb. Le patient est vêtu d’une blouse propre, et également d’une charlotte et de chaussons à usage unique(figure 1).Après entretien médical, il est installé en décubitus ventral, avec ou sans billot pour diminuer la lordose lombaire, sur la table de scanner.Les opérateurs effectuent un lavage chirurgical des mains, et portent un sarrau et des gants stériles.• Préparation du matériel
- Matériel non spécifique à la procédure :
Seringue 20 ml, aiguille 25 gauges (G) pour anesthésie locale.
Aiguille à PL biseautées type Yale Spinal 22 G de 7 ou 9 cm de longueur pour la ponction foraminale ou épidurale.
Seringue 10 cc Luer-lock® pour injection du produit de contraste.
Champs stériles, cupules stériles.
Etui stérile protecteur pour télécommande du scanner.-Produits injectés :
Anesthésique local sous-cutané : lidocaïne à 1% (Xylocaïne®).
Produit de contraste compatible avec les injections intra-thécales : ioméprol (Ioméron®) 300mg/ml.Infiltration foraminale : cortivazol (Altim®), seringue pré-remplie de 1,5mL soit 3,75mg.
Infiltration épidurale : hydrocortisone 2,5%, solution de 5mL soit 125 mg.• Déroulement du geste.
Une fois le patient installé sur la table du scanner, une acquisition volumique de repérage, centrée sur les quatre derniers disques lombaires, est réalisée avec des coupes de 1mm d’épaisseur reconstruites tous les millimètres.
Le médecin repère et confirme l’étage et l’étiologie du conflit radiculaire. Il choisit la coupe de référence scanner à l’étage pathologique et mesure le point d’entrée cutanée en fonction de sa ou ses cibles (foraminale, ou épidurale et foraminale)(figure 2).Ces références sont notées par les manipulateurs qui effectuent un repère cutané à la peau du patient (feutre dermique)(figure 3).Les manipulateurs réalisent un nettoyage cutané aseptique avec chaîne bétadinée sur le futur site de ponction repéré, pendant que le médecin effectue un lavage chirurgical des mains et revêt une tenue stérile.Après anesthésie locale sous-cutanée, l’opérateur effectue une ponction foraminale ou épidurale et foraminale à l’aide d’une ou deux aiguilles 22G, en s’aidant du repère laser et en effectuant régulièrement un contrôle scanner pendant la progression de l’aiguille, jusqu’à sa position finale.Une injection de quelques ml de produit de contraste permet de vérifier la bonne position de l’aiguille, et surtout le « moulage » de la racine pathologique et la diffusion du produit au sein de l’espace épidural. Elle permet de réaliser une radiculographie et d’évaluer le passage satisfaisant trans-foraminal du produit.En cas de diffusion non optimale du produit, l’aiguille est repositionnée et un nouveau contrôle est effectué jusqu’à ce que la radiculographie soit satisfaisante. Une douleur dans le territoire radiculaire infiltré peut être notée par le patient lors de la ponction, et confirme également la bonne position de l’aiguille.
Un contrôle TDM par acquisition volumique est effectué en fin de geste, après injection du dérivé cortisoné, et confirme la qualité de la radiculographie et de l’épidurographie éventuelle. Un pansement est alors apposé sur le point d’entrée.
Le patient peut repartir chez lui ou dans son service d’hospitalisation, après avoir été informé de la nécessité de rester en décubitus dorsal pendant 48 heures, pour une meilleure diffusion du corticoïde injecté. Il est prévenu du risque de majoration des douleurs pendant quelques jours (de 2 à 8 jours).Résultats :
Plus de 10 000 infiltrations ont été réalisés dans notre institution depuis 2002, les résultats obtenus sont cohérents avec ceux de la littérature, c’est-à-dire une amélioration clinique toutes infiltrations confondues aux alentours de 70% .
L’objectif de cet article n’est pas de démontrer l’efficacité d’une technique mais de donner un ordre d’idées aux radiologues désirant réaliser ce type de geste. La médiane de l’EVA de 6.5 points présentée par les patients de notre étude, avant le geste est sensiblement comparable avec celle des autres essais (47, 61, 84) dans lesquelles la moyenne est comprise entre 5.9 et 8.3 points.
Nos résultats sur l’amélioration de l’EVA à court-terme (1 mois) toute technique confondue sont sensiblement moins élevés que ceux de Manchikanti et al (taux d’efficacité de 86% pour les infiltrations épidurales (61)), mais cette différence est justifiable : dans l’étude de Manchikanti les patients étaient autorisés à recevoir 4 injections au maximum par an, alors que notre évaluation ne se fait que sur deux injections . L’effet cumulatif potentiel des infiltrations peut favoriser l’amélioration de l’EVA à chaque nouvelle infiltration (48, 51). De plus, dans l’étude de Manchikanti, les patients présentant un antécédent de chirurgie lombaire étaient exclus, comme dans la majorité des études portant sur le même sujet ; hors ces sujets que nous avons traités dans notre étude (22 patients), ont été moins bon répondeurs en terme d’efficacité du traitement et ont donc pu participer à faire diminuer la médiane d’amélioration de l’EVA dans l’ensemble de la population.
Une étude récente (ECR) montre qu’il existe une meilleure efficacité des infiltrations épiduro-foraminales sur les extrusions discales et sur les hernies postéro-latérales par rapport aux infiltrations foraminales seules.
Compte-tenu du débat actuel à propos de complications graves à type d’ischémie médullaire survenues après infiltration par voie transforaminale, les services parisiens (54) recommandent de ne plus chercher à positionner l’aiguille d’injection exactement en position intra-foraminale en raison d’un risque accru de cathétérisme d’une artère radiculo-médullaire. Ils proposent de placer l’aiguille idéalement en position latérale externe par rapport au foramen, au risque d’obtenir une moins bonne diffusion épidurale, et en se contentant d’une diffusion seulement péri-radiculaire du produit actif. La condition inéluctable pour cette précision de positionnement est l’aide par le guidage scanner qui est le seul moyen d’obtenir la meilleure précision balistique. Le risque d’un tel positionnement à distance du conflit lorsqu’il est intracanalaire, est la perte d’efficacité du traitement.
En proposant de réaliser une injection épidurale par voie interlamaire dans le même temps qu’une infiltration foraminale pour les conflits intracanalaires, nous pourrions assurer à la fois l’injection la plus proche du conflit par voie trans lamaire pour permettre une résorption plus rapide de la hernie, sans risque majeur de ponction artérielle, et à la fois une injection péri-radiculaire à l’étage ou sort la racine, pour majorer l’effet antalgique des corticoïdes sur les douleurs de radiculalgie, tout en restant à distance de l’artère radiculo-médullaire mise en cause dans les complications graves.
Chez le sujet préalablement opéré, en raison des risques accrus de complication ischémique des infiltrations, et d’une efficacité moindre, une voie d’abord absolument sans risque de ponction artérielle est nécessaire, et les recommandations de l’équipe de l’hôpital Lariboisière prennent tout leur sens : Wybier et al conseillent dans ce cas soit la voie caudale, soit une voie épidurale à condition qu’elle soit nettement à distance du tissu cicatriciel notamment quand la cicatrice reste limitée (flavectomie ou laminectomie unilatérale limitée), soit la voie articulaire postérieure à condition d’obtenir une arthrographie préalable réussie. A défaut, il est recommandé de renoncer à l’injection du dérivé cortisonique (54).
Conclusion :
Les infiltrations de corticostéroïdes épidurales par voie inter lamaire ou péri radiculaires par voie transforaminale sont des procédures simples présentant un rapport bénéfices/risques très favorable chez le patient sans antécédent chirurgical, utilisées dans beaucoup de service de rhumatologie et radiologie interventionnelle, dans la prise en charge de la douleur. Elles représentent actuellement la seule option disponible avant le recours aux techniques invasives percutanées ou chirurgicales.
Une réponse positive à la procédure apporte également un argument de plus en faveur du diagnostic de lomboradiculalgie mécanique, surtout chez les patients présentant plusieurs étages pathologiques, chez qui l’origine exacte des douleurs est souvent difficile à éclaircir, aussi bien par l’examen clinique qu’à l’imagerie.
Leur intérêt a récemment été remis en question suite à la publication de 12 cas de complications graves survenant chez des patients majoritairement préalablement opérés. La physiopathologie de ces complications demeure incertaine.
C’est pourquoi même si la scopie est encore largement utilisée pour guider ces infiltrations, notamment en raison de sa facilité d’accès, elle devrait être progressivement supplantée par la tomodensitométrie, qui apporte une précision balistique indiscutable, et permet de contrôler la diffusion du produit injecté grâce à l’épidurographie et/ou la radiculographie préalables, en vue d’une sécurité d’injection optimale. La réalisation sous guidage scanner permet aussi une traçabilité du geste tres utile pour le suivi des patients resistants.
Références